Mon Mont Ventoux

Le premier retour d’expérience de ce blog : ma première vraie ascension en montagne et en vélo. Au départ, un test grandeur nature d’une montre GPS. Au final, une somme d’erreurs à éviter pour qui veut atteindre en roulant un sommet aussi terrible…

Dans la partie finale de l'ascension. Ph. Moctar KANE.
Qu’est ce qui m’a pris d’accepter cette invitation ? Gravir le Mont Ventoux, une « étape mythique » comme on dit, un des classiques du Tour de France mais aussi du Dauphiné Libéré, cette autre course de cyclisme. Le Mont Ventoux, c’est le plus haut sommet du département du Vaucluse : il culmine à 1912 m d’altitude. L’ascension peut se faire à partir de trois villages, Malaucène, Sault et Bédoin. De l’avis des spécialistes, l’ascension par le sud, au départ de Bédoin, est la plus ardue. C’est ma sentence. Son dénivelé atteint 1612m, les côtes ont une moyenne de 7,5% et plusieurs portions oscillent autour de 10%. C’est l’ascension que le Tour impose aux coureurs lorsqu’ils doivent gravir le Mont Ventoux. Gravir, oui, c’est ce terme qu’il faut choisir lorsque le cyclisme côtoie, tutoie presque l’alpinisme. Gravir, pour moi, petite personne qui aime le vélo mais qui n’en pratique en général qu’en ville, moi qui n’ai jamais vraiment roulé en montagne, moi qui suis certainement meilleur coureur que pédaleur, gravir allait signifier, sans grand doute, galérer.

Oui, que suis-je venu faire dans cette galère ? D’autant que la semaine précédente, pour tester d’autres produits GPS destinés aux sportifs, j’avais dû courir, faire de la randonnée et du vélo. Cela aurait pu servir de préparation, d’entraînement physique pour cette épreuve vauclusienne, mais avec peu d’heures de sommeil depuis des semaines et quelques douleurs dans la charpente corporelle, ce ne fût pas le cas. Et pour ne rien arranger à mon cas, j’avais accepté, la veille, comme d’autres journalistes (quelques dizaines, dont plusieurs sont des habitués des sorties à deux roues), de me lancer dans une descente en VTT. Le trajet : du Chalet Reynard (à 6 km du sommet Ventoux) à Bédoin. Et ce, en pleine nuit ! A la frontale : à savoir, avec une torche fixée sur le front… Fonçant dans cette nature qui dans ces circonstances-là était, par notre propre choix, plus hostile qu’amicale, le groupe avait dévalé les pentes sans ménager ceux qui, comme moi, n’avaient jamais roulé dans de telles conditions. Cela dura plus de deux heures. Nous avons roulé sur de la rocaille, souvent. Tenté de ne pas tomber, toujours. Fait ne notre mieux pour ne pas nous fracasser sur des rocs jaillissant comme des traîtres du sol, et refuser l’invitation d’aller plonger dans le vide en prenant certains virages. Évité de nous renter les uns dans les autres. Bref, ce fut une épreuve autant physique que mentale : la vigilance s’imposait sans cesse. Arrivés à près de minuit, après une distance de 26 km, nous avons eu peu d’heures de récupération. Pour faire le chemin vers le haut cette fois, en principe jusqu’au bout, au sommet de ce Mont Ventoux.

Vélo Look 695 SR. Ph. Moctar KANE.

Le vélo prêté avant le départ : un Look 695 SR. Ph. Moctar KANE.

Pourquoi avoir accepté alors cet exercice ? Certes, je voulais bien tester en altitude cette montre que Polar allait lancer pour la 100ième édition du Tour de France : une RC3 GPS au bracelet jaune et mise à jour avec une fonction supplémentaire, l’altimètre. A part la couleur donc, cette montre rajoutait donc l’altitude fournie grâce aux données reçues des satellites. Contrairement à certaines concurrentes (Garmin Fénix et Suunto Ambit), cette Polar RC3 GPS ne détermine pas donc cette altitude à partir d’un baromètre interne. Grosso modo, c’est la même montre j’avais eu la chance de tester ici il y a déjà quelques mois.
Pourquoi voulais-je alors vraiment « gravir » ce Mont Ventoux ? Pour éprouver (le centième de) l’effort immense fourni par les coureurs cyclistes professionnels dans de telles routes. Avec le poids du chrono en moins dans mon cas. Bref, c’était une opportunité professionnelle d’être au plus près possible de la réalité des forçats du Tour. Une occasion, une provocation peut-être à ma propre personne.

Début route vers Mon Ventoux. Ph. Moctar KANE.

Jusque là, la route est facile. Ph. Moctar KANE.

Le matin, à la sortie du village de Bédoin, après quelques centaines de mètres pour m’habituer à ma monture, un vélo Look 695 SR, un modèle employé par les pros de la saison dernière m’a-t-on dit, la route est facile. Il me faut bien cela, moi qui roule d’ordinaire en VTT. Je ne me rappelle pas exactement de l’endroit, mais c’est au bout de 6 km que l’ascension se « verticalise » vraiment, selon mes lectures a posteriori. En tout cas, rapidement, c’est bien en danseuse que je commence à rouler. Les plus rodés de notre groupe, dont le très sympathique Marc Raquil, athlète de haut niveau, sont déjà loin devant. Nous ne roulons pas et ne roulerons plus tous dans même catégorie. Ce jour-là, j’ai décidé, mais je n’avais pas le choix de toute façon, de faire la tortue. Lentement, c’est sûr. En principe.

A l'entrée de la fôret. Ph. Moctar KANE.

La forêt sera présente pendant une grande partie de l’ascension. Ph. Moctar KANE.

Cette route qui se raidit dans un décors de forêt, c’est la départementale D974. Elle m’annonce que la chose ne va pas être évidente. Le sourire genre « tout va bien », lancé ci et là aux organisateurs qui font en véhicule des allers-retours d’inspection entre les derniers coureurs et les autres de devant, ne trompe certainement personne. Il faut bien montrer qu’on y croit. Je vais lentement et ne me sens vraiment pas au meilleur de ma forme. Mais il faut continuer à pédaler. C’est comment encore la combinaison de plateaux pour faciliter le pédalage ? Je me mélange les pinceaux. Hum, je sais cela, non ? C’est la même chose sur tous les vélos avec changement de vitesse. Ah oui, le plus petit plateau à l’avant et le plus grand à l’arrière. Ou est-ce l’inverse ? Non, c’est bien cela : le plus petit plateau à l’avant et le plus grand à l’arrière. Mais je progresse si lentement que j’ai l’impression que le vélo est ralenti par de la colle. Souvent en danseuse, mon corps manque de fermeté, le mal de dos apparaît. Le contenu de mon ventre se met aussi à rouler, semble vouloir prendre l’air, et compliquer ma tâche du jour. Tout semble me dire que je ne franchirai pas ce Mont Ventoux à vélo. Mais je continue. Scrute et décompte les bornes kilométriques manquant la distance au sommet.

Bientôt je devrais voir cette borne des 10 km. Je ne sais pourquoi, mais j’en ai fait une étape importante. Je la vois cette borne. Est-ce un hasard ou non, mais je peine à l’atteindre, comme abandonné de toute force. Épuisé, je décide, non, mon corps décide d’arrêter là, de poser pied à terre pour la première fois depuis le départ.

Borne kilomètrique à 10 km du Mont Ventoux.

Premier arrêt dans l’ascension du Mont Ventoux, à 10 km du sommet. Ph. Moctar KANE.

Quelques secondes plus tard, se confirme l’erreur commise le matin : de peur de manquer de force, j’avais chargé ma barque, en prenant un petit déjeuner trop copieux. Pourtant, d’habitude, avant de courir le matin, je ne prends pas de petit déjeuner. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vomis. Mais au moins, cela me soulage. Et après quelques minutes de repos, je repars. Pour voir. Aller jusqu’au bout ou non, jusqu’en haut, j’en déciderai plus tard. Je ne veux pas abandonner. Je n’ai pas beaucoup de force, je manque d’entraînement, mais veux espérer ne pas manquer de volonté. C’est une pure construction mentale. Car tout semble m’indiquer l’abandon. Les pourcentages des côtes, ma vitesse lente, ma fatigue. Tout sauf quelques détails. Mes douleurs de dos disparaissent petit à petit. Et la fréquence cardiaque que m’indique la montre est inférieure à 180. Dans ma tête, je ne la vois pas dépasser 176 battements par minute. Plus tard, après l’épreuve, j’allais constater qu’elle avait atteint 184. Pour moi, ce chiffre 176 étant inférieur à 195, environ mon maximum en running, m’a donné de l’espoir. Cela signifiait que j’avais de la marge : j’étais convaincu de pouvoir encore tirer dans mes réserves.

Polar RC3 GPS pendant l'effort.

La fréquence cardiaque indiquée sur la Polar RC3 GPS me donnait de la marge. Ph. Moctar KANE.

En fait, le cœur semblait bien aller. Seuls les muscles et une fatigue, de plus en plus grande, allaient dans le sens de l’abandon. Mes prières, la raison (technique) et mon envie d’aller au bout me poussaient dans le bon sens. Et de toute façon, je m’étais fixé comme étape intermédiaire le Chalet Reynard. A six kilomètres du sommet, je verrai si j’aurais assez de jus pour affronter la phase finale. Nombre de journalistes plus aguerris et les athlètes professionnels étaient déjà pour la plupart en train de redescendre, fonçant presque comme des bolides dans le sens inverse, le sourire au visage. Olivier, l’un des organisateurs de l’événement, voyant que mon ascension prenait beaucoup de temps et peut-être trop d’énergie, me proposa d’avancer jusqu’au chalet puis de me conduire au sommet, où il pourrait me photographier. Mais ce n’était pas le genre de souvenir que je voulais ramener du Ventoux. Il me fallait continuer de trimer.

Sur la D974, vers le Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE.

Sur la D974, vers le Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE

Une des haltes. Ph. Moctar KANE.

Une des haltes. Ph. Moctar KANE.

Sur la D974, vers le Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE.Arrivèrent mes crampes. D’abord aux quadriceps gauche. Douloureux, évidemment. Quelques minutes plus tard ce fut le côté droit. Après des étirements, je décidai de repartir. En tout, il y eut au moins six crampes, de chaque côté. Une fois, elle surgit, brusque, telle une injonction à ne pas repartir, juste au moment où je posais le pied au sol pour une pause. Heureusement, je fus épargné ce jour-là des crampes aux mollets, les plus atroces pour moi : elles me font l’effet de couteaux plantés dans la chair et me laissent pendant des heures l’impression d’avoir des muscles pétrifiés ! Ayant atteint le chalet, je vis l’impossible pari du matin changer de visage. Six kilomètres à faire. Que les crampes m’épargnent et la chose était à ma portée. Je continue.
Sur la D974, vers le Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE.Il y a peut-être quelques descentes. Mais cela ne me paraît pas plus reposant. Car sur tout ce foutu parcours, même quand cela descendait, j’avais l’impression que ça montait toujours…

Mon souffle est court. J’expire et inspire sèchement. Il s’agit de tenir, même à un rythme très lent. Quand c’est nécessaire, quand une crampe revient, je m’arrête, soulage le muscle et repart. L’eau, il ne m’en reste plus beaucoup. Heureusement, j’avais été ravitaillé en quantité supplémentaire sur la route. Et j’ai eu ces barres et liquides riches en protides et énergie. Peu fan de ces produits, c’est vraiment la première fois que j’avais l’occasion d’en tester. Cela m’a aidé.

Au virage du Chalet Reynard. Ph. Moctar KANE.

Au virage du Chalet Reynard. Ph. Moctar KANE.

Après le chalet, le paysage a bien changé. Avec moins d’arbres. J’ai maintenant l’impression d’être plongé dans un paysage lunaire. C’est gris, blanc, terne. C’est curieux, j’ai l’impression d’être dans un monde irréel, de flotter dans une atmosphère paisible. Une sorte de sérénité bienfaisante. Alors que je suis exténué !

Dans la partie finale de l'ascension. Ph. Moctar KANE.

Dans la partie finale de l’ascension, après le Chalet Reynard. Ph. Moctar KANE.

Dans la partie finale de l'ascension. Ph. Moctar KANE.Inscription sur le sol. Ph. Moctar KANE.Des plaques de neige sont encore étalées le long de la route. Une petite pluie fait son apparition. J’ose apprécier : cela peut me rafraîchir. Comme quand on court à pied sous une fine précipitation. Le beau temps du matin cède sa place donc à une météo plus agitée. Le gris remplace le bleu. Le brouillard s’est installé dans le décor. Des cyclistes inconnus, dans le sens de la descente, m’encouragent, m’indiquant que la fin est proche.

Dans la partie finale de l'ascension. Ph. Moctar KANE.

Dans la partie finale de l’ascension, après le Chalet Reynard. Ph. Moctar KANE.

Brouillard dans la partie finale de l'ascension. Ph. Moctar KANE.Olivier, revenu avec son épouse Élodie, s’approche de moi. « Cela va le faire, je crois » lui dis-je. « Oui », répondit-il, convaincu maintenant, lui aussi. La pluie s’intensifie. Là, il faut faire attention à ne pas tomber. Comme m’avait prévenu l’autre Élodie, l’attachée de presse, les dernières centaines de mètres sont raides. Pas loin du sommet, je vois à peine la tour du Mont Ventoux, plongée qu’elle est dans le brouillard. Après le dernier virage, je me retrouve sur une sorte de plateau. Devant moi Olivier et sa femme Élodie sont tout sourire. Chacun tenant des deux mains un smartphone, ils me photographient, m’encouragent sur ces derniers mètres. Je franchis le sommet. Et subitement la fatigue s’envole, comme repoussée au-delà des 1912 m du Mont Ventoux. La joie peut-être. Et qu’importe le temps, plus de 4 heures et demie, j’ai fait mon expérience, j’ai éprouvé cette expérience. Respect à ceux qui par leurs seules forces gravissent bien plus rapidement ce Mont Ventoux, le Galibier, l’Alpe d’Huez ou d’autres cols. De la part de celui qui, c’est sûr maintenant, n’est qu’un cycliste du dimanche !

Moctar KANE.

Tour du Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE.

En arrivant près de la tour du Mont Ventoux. Ph. Moctar KANE.

La Polar RC3 GPS indiquant l'altitude et les dénivelés. Ph. Moctar KANE.

La Polar RC3 GPS indiquant l’altitude et les dénivelés. Ph. Moctar KANE.

PS : j’espère refaire ce Mont Ventoux en vélo, ne sachant quel virus j’ai attrapé là-haut.

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3 réflexions sur « Mon Mont Ventoux »

  1. 176 battements par seconde !!!! Je te rappelle, à toutes fins utiles, que les cardio-fréquencemètres indiquent des pulsations cardiaques en bpm, c’est-à-dire en battements par minute ; ce qui, dans ton cas, correspond à environ 3 battements par seconde, et non 176 !!!!

    • Bonjour à vous.

      Merci de cette remarque. « 176 battements par seconde » au lieu de « 176 battements par minute », c’est ce qu’on appelle une « coquille ». Plusieurs internautes ont dû remarquer cette erreur de frappe et corriger cela dans leur tête. Votre protestation m’a permis de corriger cela dans mon post.
      Merci bien et portez-vous bien.

      Moctar.

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